Que se passera-t-il quand Bruxelles déclenchera le mécanisme de l’état de droit contre la Hongrie?

National

La procédure, jamais utilisée, visera les 6,1 milliards d’euros que la Hongrie reçoit chaque année du budget de l’Union européenne.

Après avoir été accusé, pendant des mois, de procrastination et de retards injustifiés, la Commission européenne a confirmé qu’elle allait déclencher un mécanisme inédit à l’encontre de la Hongrie. Un mécanisme, qui pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, subordonnera la réception de fonds communs au respect de l’état de droit par un pays.

Cet instrument budgétaire n’a jamais été utilisé depuis son entrée en vigueur, malgré les appels répétés du Parlement européen, dont les membres ont eu recours à des actions en justice pour tenter de forcer la main de la Commission.

En réponse, l’Exécutif mené par la Présidente Ursula Von Der Leyen a fait valoir qu’il avait besoin de plus de temps pour rédiger des lignes directrices pratiques et attendre un arrêt de la Cour de justice européenne, censé déterminer si le mécanisme était juridiquement valable.

Finalement, les deux conditions ont été remplies : la Cour européenne de justice a statué en faveur de l’instrument à la mi-février et la Commission a publié ses lignes directrices au début du mois de mars.

Puis, les élections législatives hongroises ont eu lieu et le Premier ministre, Viktor Orban, a une fois de plus obtenu une majorité claire pour gouverner.

“Nous avons gagné une majorité si grande que vous pouvez la voir depuis la lune, et vous pouvez certainement la voir depuis Bruxelles”, a déclaré Orban tout en célébrant sa victoire.

Deux jours après le scrutin, la présidente Von Der Leyen s’est présentée devant le Parlement européen et a annoncé,aux députés européens,la nouvelle que la plupart d’entre eux attendaient avec impatience.

“La Commission s’est entretenue aujourd’hui avec les autorités hongroises et les a informées de l’envoi d’une lettre officielle pour lancer le mécanisme de conditionnalité”, a déclaré Von Der Leyen.

Cette lettre devrait être envoyée officiellement les prochains jours, marquant le début d’une procédure longue et complexe qui pourrait aboutir au gel de la part annuelle de Budapest dans le budget de l’Union européenne, soit 6,14 milliards d’euros.

Mais compte tenu de la nature nouvelle et sans précédente de ce mécanisme, de nombreux doutes subsistent quant à sa force et à son efficacité réelles.

Qu’est-ce que le mécanisme de conditionnalité ?

Le mécanisme est un nouvel outil destiné à protéger les intérêts financiers de l’Union européenne contre les violations de l’état de droit commises dans un Etat membre.

Il a été conçu dans un contexte très particulier : la pandémie de COVID-19 avait infligé d’énormes souffrances à l’économie de l’Union et un fonds de 750 milliards d’euros avait été mis en place pour accélérer la reprise. Ce fonds novateur, financé par la dette commune, a été négocié parallèlement au budget européen septennal de 1 100 milliards d’euros.

L’augmentation substantielle du pouvoir financier a alimenté les appels visant à garantir que les gouvernements fautifs ne profitent pas de l’argent des contribuables européens, un débat qui faisait rage depuis des années. Après des négociations tendues fin 2020, qui ont vu échouer les tentatives de veto sur le texte, le régime disciplinaire est entré en vigueur en janvier 2021.

La Pologne et la Hongrie ont critiqué l’instrument et ont saisi,en vain, la Cour européenne de justice pour discréditer sa légitimité.

Soupçonnés de recul démocratique, les deux pays sont actuellement sous le coup de la procédure de l’article 7, qui reste bloquée, chacun ayant juré de bloquer le dossier de l’autre.

Orbán a confirmé qu’ « avec les Polonais, nous sommes dans une alliance défensive mutuelle. Nous ne permettrons pas que l’autre soit exclu du processus décisionnel européen ».

Quelles conditions peuvent déclencher le mécanisme ?

Le règlement définit l’état de droit comme un ensemble de valeurs fondamentales, notamment la sécurité juridique, des tribunaux indépendants et impartiaux, la séparation des pouvoirs et la non-discrimination.

“Le respect de ces valeurs ne peut être réduit à une obligation à laquelle un Etat candidat doit se conformer pour adhérer à l’Union européenne et qu’il peut ignorer après l’adhésion”, a déclaré la Cour européenne de justice dans son arrêt.

En pratique, toutefois, le champ d’application de l’instrument est plutôt limité : il ne vise pas les violations générales du droit communautaire, mais uniquement celles qui affectent ou menacent gravement la gestion financière de l’UE, à savoir le budget commun.

Les situations qui peuvent potentiellement relever du mécanisme sont le manque d’indépendance de la justice, l’incapacité à prévenir ou à corriger les décisions illégales prises par les autorités publiques et la présence d’obstacles à la réalisation d’enquêtes, à la poursuite des infractions et à l’exécution des décisions.

Selon le règlement, ces violations peuvent avoir un impact négatif sur l’exécution, le contrôle et l’audit des fonds de l’UE, la prévention de la fraude et de la corruption, et la coopération avec les agences européennes concernées.

La Commission est depuis longtemps préoccupée par l’indépendance de la justice hongroise, les conflits d’intérêts et la corruption systémique. L’OLAF, l’agence antifraude de l’UE, a placé le pays en tête de sa liste des irrégularités impliquant des fonds de l’Union européenne, les projets publics étant considérés comme surbudgétisés et surévalués.

Ces considérations ont empêché l’approbation du fonds de redressement national de la Hongrie, dont les subventions s’élèvent à 7,2 milliards d’euros.

“Ici, la principale exigence de la réforme est la question de la lutte contre la corruption, et nous ne sommes pas en mesure pour le moment de trouver un terrain d’entente et de conclure”, a annoncé Von Der Leyen aux députés, mardi.

Le lendemain, Orban a déclaré, lors d’une conférence de presse, qu’il n’avait pas connaissance de question en suspens”, et que “ce n’est pas vrai. Nous nous sommes mis d’accord sur ces questions”.

Quelles sont les prochaines étapes ?

D’abord, la Commisison doit constituer un dossier juridique établissant un lien réel et fondé sur des preuves entre la violation du droit communautaire et budget de l’UE.

L’Exécutif a précédemment envoyé des lettres administratives à la Hongrie et la Pologne faisant part de ses inquiétudes et demandant des clarifications. Selon Von der Leyer, la réponse de Budapest n’était pas suffisamment convaincante pour clore le dossier et son équipe a décidé de « passer à l’étape suivante ».

Bruxelles va maintenant envoyer une notification formelle au gouvernement hongrois, donnant ainsi le coup d’envoi officiel d’une procédure qui verra un long va-et-vient entre les capitales.

La Hongrie a le droit de formuler des observations sur les conclusions juridiques de la Commission, de fournir des informations complémentaires et de proposer des solutions pour remédier aux violations présumées.

Si, à l’issue de l’échange de communications, qui devrait s’étendre sur plusieurs mois, l’exécutif estime que la faute persiste et que le budget commun est toujours menacé, il peut émettre une recommandation de gel des fonds européens.

La recommandation est envoyée aux États membres, qui disposent d’un mois pour en discuter et voter.

Le Conseil doit l’approuver à la majorité qualifiée : 55 % des pays de l’UE représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE. Il s’agit d’une différence importante par rapport à l’article 7, où l’unanimité est requise.

Quelles mesures peuvent être prises contre le pays incriminé ?

L’UE peut décider de suspendre, d’interrompre ou de réduire partiellement ou totalement les fonds communautaires alloués au pays accusé.

Elle peut également interdire au pays de conclure de nouveaux accords financiers avec l’Union et l’obliger à rembourser les prêts en cours plus tôt que prévu.

L’ampleur et la durée de la réponse doivent être proportionnelles aux dommages causés par les violations de la législation. Cela signifie qu’une suspension totale des fonds européens est extrêmement improbable.

Les mesures viseront les organismes publics aux niveaux national, régional et local.

Le règlement souligne que les bénéficiaires finaux des fonds de l’UE, tels que les ONG et les agriculteurs, devraient être autorisés à percevoir l’argent qui a été attribué en vertu d’ « obligations préexistantes ». Le gouvernement ne peut pas utiliser le mouvement disciplinaire comme une excuse pour éviter ces paiements, dit la Commission.

L’Exécutif note notamment que si les bénéficiaires finaux ont été personnellement impliqués dans la violation de la loi européenne, “comme dans les cas de corruption, de fraudes systémiques et les conflits d’intérêts”, ils peuvent en fait être privés de fonds.

Les mesures peuvent être levées à tout moment si l’Etat membre incriminé prend des mesures pour corriger la situation et si la Commission conclut que la violation de la loi européenne, même si elle persiste, ne constitue plus une menace pour le budget de l’Union européenne.

Combien de temps prendra l’ensemble de la procédure ?

Etant donné que le mécanisme de conditionnalité n’a pas été testé, le calendrier n’est pas clair. Les fonctionnaires de l’UE estiment qu’il faudra cinq à neuf mois entre la notification officielle de la Commission et le vote par les Etats membres.

 

 

euronews

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