Pourquoi le parti satirique hongrois est-il accusé d’avoir aidé Viktor Orban?

National

« Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que les autres votent », avait lancé Gergely Kovacs, le président « farceur » du parti satirique du chien à deux queues (MKKP), en déposant son bulletin de vote aux élections législatives du 3 avril.

Avec un ton typiquement sardonique, il a déclaré que son parti était sûr de remporter les élections avec 100 % des voix, après avoir réalisé un « sondage représentatif auprès d’un seul homme ».

Interrogé par les journalistes sur l’importance de ces élections pour la Hongrie, il a répondu que la plus grande menace était de savoir _ »_si une puissance galactico-coloniale allait envahir la Terre ».

Le Parti du chien à deux queues, ou MKKP, s’est frayé un chemin dans le système politique hongrois depuis sa création en tant que mouvement en 2006.

Son humour mordant contraste souvent avec les avertissements sérieux des opposants du Premier ministre Viktor Orban et de sa reconfiguration autocratique de la politique depuis 2010.

Des résultats « moins drôles »

Le parti Fidesz de Viktor Orban, au pouvoir depuis 12 ans, a remporté une quatrième victoire éclatante aux élections législatives et s’est assuré une nouvelle majorité des deux tiers au Parlement.

Le MKKP, dont certains sondages estimaient qu’il pourrait obtenir quelques sièges au Parlement, n’a finalement recueilli que 3,3 % des voix. Un score insuffisant pour rentrer au parlement.

Pour le leader du parti, la plaisanterie a laissé sa place à un ton plus grave : « je suis désolé, nous voulions obtenir 5 % », a-t-il annoncé aux partisans du parti le soir des élections, en faisant référence au seuil nécessaire pour entrer au Parlement hongrois.

Un partisan flânant à l’extérieur du Metro Club, une boîte de nuit huppée dont le MKKP a fait son lieu d’élection, a résumé le résultat : « Put***, c’est mauvais !

Le MKKP accusé d’être responsable de l’échec de l’opposition

Bien avant les élections, le MKKP faisait déjà l’objet de critiques après avoir décidé de ne pas se joindre aux six principaux partis d’opposition pour former une alliance contre Viktor Orban.

Dans les mois précédant le scrutin, les détracteurs du gouvernement actuel avaient avancé que le MKKP divisait le vote anti-Orban. Le jour du scrutin, l’ancien Premier ministre, Gordon Bajnai, a même affirmé « qu’un vote pour le MKKP était un vote pour Viktor Orban ».

Les accusations ont continué le soir des élections, lorsque l’alliance d’opposition, « Unis pour la Hongrie », a obtenu des résultats très décevants. En effet l’alliance n’a remporté qu’un peu plus d’un tiers des voix et obtenu seulement 56 sièges. En comparaison, les partis d’opposition avaient remporté 63 sièges lorsqu’ils s’étaient présentés individuellement lors de l’élection de 2018.

Le MKKP a refusé d’être la tête de turc. Zsuzsanna Döme, coprésidente du MKKP, a confié à un média local que son parti ne devrait pas être tenu responsable de la mauvaise performance de l’opposition unie. « Il faudrait plutôt demander aux électeurs pourquoi ils n’ont pas voté pour les candidats de la coalition », a-t-elle ajouté.

Pour M. Kovács, la défaite retentissante de l’opposition a surtout confirmé sa décision de ne pas faire entrer son parti dans l’alliance.

« Nous pouvons oublier Péter Márki-Zay en tant que simple participant à la politique hongroise », a-t-il déclaré, en faisant référence au candidat de l’alliance d’opposition. « Mais peut-être que les autres retiendront la leçon ».

D’où vient la culture des partis politiques satiriques en Europe ?

L’Europe centrale a une riche histoire de partis satiriques, même s’ils ont tendance à être plutôt éphémères.

En 1911, le célèbre écrivain tchèque Jaroslav Hasek aurait été le premier Européen à fonder un parti parodique. En effet, le « Parti du progrès modéré dans les limites de la loi », se moquait ouvertement du conservatisme politique de l’empire austro-hongrois.

Au cours d’une campagne électorale à Prague, M.Hasek s’était par exemple engagé à réintroduire « l’esclavage, à nationaliser les concierges et à rendre l’alcoolisme obligatoire. »

Ces pratiques politiques cesseront jusqu’à la fin du XXe siècle, repoussées par l’horreur de la Première Guerre mondiale et les invasions ultérieures des régimes totalitaires comme l’Allemagne nazie et l’URSS.

En 1991, deux ans après la chute du communisme, « le Parti des amateurs de bière polonais » a remporté 16 sièges au parlement lors des premières élections libres du pays depuis des décennies.

En Autriche, le parti de la bière (Bierpartei, BIER) a également créé la surprise en 2020 lors des élections régionales dans le Land de Vienne. Cette petite formation politique a en effet récolté plus de 13 000 voix lors de ce scrutin, soit pratiquement 2%.

En lisant le programme de ce parti créé en 2015 par Marco Pogo, un rocker viennois qui est aussi médecin, le côté satirique de la démarche est évident. Mais derrière l’objectif de la distribution d’un tonneau de 50 litres de bière par habitant, se cache une critique de la société autrichienne d’aujourd’hui.

L’un des partis « satirique » les plus populaires en Allemagne »die Partei » compte deux eurodéputés. Le parti propose par exemple de reconstruire le Mur de Berlin et les frontières de la RDA.

« Die Partei ne défend absolument rien, nous n’avons pas de contenu. Nous sommes le plus moderne des partis et nous menons une politique moderne, sans prise de position », affirmait son président Martin Sonneborn.

MKKP, un parti « farceur » aux ambitions sérieuses

À l’instar de la campagne de Jaroslav Hasek au début des années 1910, le MKKP hongrois est réputé pour ses promesses de campagne farfelues.

Alors que M.Hasek promettait que ses partisans recevraient chacun « un petit aquarium de poche », les promesses du MKKP incluent deux couchers de soleil par jour.

Dans la tradition des autres partis satirique d’Europe centrale, le MKKP promet aussi de la bière gratuite à vie en cas de victoire.

Toutefois, derrière ce ton moqueur, il y a un objectif politique beaucoup plus engagé. Kristof Horvath, doctorant au King’s College de Londres, mène une étude sur le MKKP, et il estime que le parti est en réalité profondément « sérieux ».

« Il est plus juste de les considérer comme un parti ayant des objectifs politiques sérieux, qui se trouve également être drôle et utilise l’humour comme instrument politique. Ils sont très sérieux dans leur volonté d’entrer au Parlement », nous explique M. Horvath.

Le MKKP, dont le slogan est « le seul choix raisonnable », adopte une position fortement libérale, presque libertaire, sur la plupart des questions.

Au plus fort de la crise des migrants de 2015, lorsque le gouvernement hongrois était critiqué pour avoir refoulé des réfugiés et construit des clôtures pour les empêcher d’entrer, le MKKP a mené une campagne d’affichage proclamant : « Venez en Hongrie par tous les moyens, nous travaillons déjà à Londres ! »

Lors de sa première véritable élection en 2018, le parti a récolté 99 410 voix, soit 1,7 % du des voix, et a terminé en septième position. Lors de l’élection du Parlement européen l’année suivante, il a remporté 2,6 % des suffrages exprimés.

Le parti a réussi à placer des membres dans des positions importantes. M. Döme, le coprésident du parti, est adjoint au maire de Ferencváros, un arrondissement de Budapest. Plusieurs membres siègent dans des conseils locaux.

Ils ont fait campagne avant les élections législatives avec un programme assez détaillé qui comprend des réformes des marchés publics, une transparence accrue et la légalisation de l’usage médicinal et récréatif de la marijuana.

Après les résultats des législatives, Gerfely Kovacs s’était adressé aux journalistes en leur disant : Il est dommage que nous ne soyons pas au parlement et que la marijuana ne soit pas légale en Hongrie à partir de demain. »

 

 

euronews

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